Univers carcéral, lutte contre l’insécurité : Changer de modèle !
Depuis peu, le débat sur la population carcérale, à nouveau, alimente l’actualité. Madame DELAZZARI, Contrôleuse Générale des lieux de privation de liberté avait rendez vous la semaine dernière devant la commission des Lois à l’Assemblée Nationale.
Elle a eu en charge de se faire le Porte Voix d’un groupe de 27 syndicats professionnels et associations.
Elle a poussé, encore et toujours, un véritable cri d’alarme je cite « d’extrême urgence » à propos de la surpopulation carcérale en France.
Ce groupe de réflexion, créé en 2022 et donc placé sous son égide, rassemble des personnes ressources qui couvrent pratiquement toute la chaîne pénale : magistrats, avocats, directeurs de prison, représentants des agents d’insertion et d’approbation, associations d’aides aux détenus…
Aux origines, si l’histoire de l’Univers carcéral en France nous était contée, ce serait celle d’un serpent imbécile qui se mort la queue : Une seule et même politique qui fait abstraction de toute prévention ou de réinsertion et propose, pour unique remède à l’insécurité sociale, la répression à outrance et la privation de liberté.
Un système aveugle et totalement démagogique qui d’un côté, au départ de la chaîne pénale, transforme les Forces de l’Ordre en « machines à produire », encourage la course au rendement et à la « performance ». Paradoxalement, le Service Public de Sécurité, auquel on demande « toujours plus » (la dernière en date, c’est de verbaliser les fumeurs sur les plages) est paupérisé : des commissariats ferment, la pénurie d’effectifs dénoncée par les syndicats est de plus en plus criante.
La politique qui privilégie le quantitatif et les « buchettes » (1) font que les procédures s’accumulent. En moyenne, ce sont entre deux et trois mille procédures qui sont en attente de traitement par service, 2,7 millions de dossiers (et donc de victimes) en attente au niveau national pour seulement vingt mille agents en charge de l’investigation (Chiffres publiés par la Cour des Comptes) et non quarante mille comme le prétend le Ministère.
Par ailleurs, il manque toujours en France 5000 Officiers de Police Judiciaire et le métier n’est pas suffisamment attractif pour faciliter le recrutement. Et ce n’est pas la récente réforme de la PJ (départementalisation) de Monsieur DARMANIN, totalement désavouée par les professionnels, qui modifie la tendance. Au contraire, le fait de vouloir « déshabiller Paul pour habiller Pierre », vieille stratégie de notre impuissance Publique moulée dans la donne géo économique dominante, n’a pour seul mérite que de casser cet outil merveilleux qu’est la Police Judiciaire. Un Service qui, de tout temps, nous a été envié et a démontré son efficacité.
Sur l’hôtel des économies budgétaires, si d’un côté on encourage la course aux armements pour satisfaire l’Oncle Sam, on sacrifie, par contre, le Service Public ; tout le Service Public.
Et, là ou le Service Public recule (protection de la jeunesse, éducation spécialisée, médiateurs, travailleurs sociaux, politique de la ville, santé, éducation, police, justice…) l’insécurité sociale s’accroît !
Deuxième conséquence logique de ce désengagement politique et économique, l’Etat, modèle « made in USA », se défausse sur les communes, les collectivités locales et le privé pour ce qui touche à la lutte contre l’insécurité.
Et nous autres citoyens payons en conséquence plusieurs fois pour ce qui est en principe un Devoir Régalien de l’Etat.
Dans cette « dynamique » économique dévastatrice, une nouvelle loi tendant à renforcer les prérogatives des Polices Municipales est d’ailleurs en préparation. « La diarrhée » (2) législative continue !
Logique pour ce modèle inégalitaire et donc anti républicain que je dénonce depuis des lustres et qui est un fiasco total. Il suffit de prendre connaissance des statistiques 2023 du Ministère de l’Intérieur que je cite dans mon dernier ouvrage pour s’en convaincre (3). Tous les indicateurs sont au rouge. Mais ce n’est pas grave, on continue ! Peu importe qu’on légifère à crédit ! L’essentiel, pour nos Cowboys et Shérifs opportunistes d’opérette, c’est de se faire ré- élire sur du « vent », en nous prenant pour des « lanternes » et en usant de cette arme redoutable mais qui ne dure qu’un temps : « la manipulation mentale ! »
Et tout le monde bienpensant de la médiocratie semble se satisfaire de ce système qui nous conduit droit dans le mur. Qu’on se le dise, seule la privation de liberté est la tasse de thé des démagos !
J’espère toujours pouvoir lire ou entendre sur ce sujet de fond une réaction courageuse des partenaires sociaux qui voient le métier de plus en plus paupérisé, le service public de sécurité de plus en plus affaibli mais qui constatent parallèlement que les autres « polices » finissent par avoir des moyens qui les font pâlir d’envie. Le nombre de policiers est même dépassé aujourd’hui par le nombre d’agents de sécurité privée : 180 000 au total ! Un record !
Je reviens souvent sur la nécessité de changer de modèle et de prendre exemple sur ce qui marche à l’étranger plutôt que de copier sans discontinuer le système ultra libéral Américain qui comme on le sait dans le domaine sécuritaire est une catastrophe en la matière.
En France sur dix peines prononcées, une seule est un Travail d’Intérêt Général (TIG). Aux Pays Bas, ce sont huit TIG sur dix peines qui sont prononcées. Aux Etats Unis, ou les armes circulent comme au Far West et ou la répression va même jusqu’à la peine de mort, le taux de récidive est de 60 % !!!
En France il est –déjà- de 40 % ! Dans les pays du Nord qui s’appuient sur le volet réinsertion et où les établissements pénitentiaires sont mieux encadrés, ce taux de récidive n’est « que » de 20 %.
En France, si l’on écoute les Texas Rangers de service, il faudra bientôt qu’il y ait autant de prisons que de clochers. Nos enfants pourront ainsi aller à l’église tout en admirant à côté des lieux de culte où l’on enseigne la foi, la charité, la fraternité, l’accueil, le pardon et l’amour des autres, d’immenses bâtisses « dortoirs », de véritables usines à fabriquer des monstres.
Souvenez vous, déjà Alain PEYREFITTE et son projet de construction de prisons privées. Ce grand politique moraliste qui considérait l’homosexualité comme une déviance et les LGBT pour des drogués, a écrit un merveilleux livre : « Quand la Chine s’éveillera » Cet apôtre et spécialiste de l’ultra libéralisme était sur ce modèle qu’il vénérait, un précurseur. Pour le reste, sa montre s’était arrêtée, comme Nixon et bien d’autres, au moyen âge.
Echec, donc, à tous les étages. Les maisons brûlent, à commencer par « la Grande »(4), mais les incendiaires poursuivent et accentuent leurs méfaits et chargent les Forces de Sécurité Publique de se transformer en pompiers du mal être social.
De même, chaque mois, la population carcérale grâce à la politique « modérée et réfléchie du moment », augmente de 500 détenus supplémentaires. Molière s’esclafferait « Une prison pour un clocher vous dis je ! » Mais le sujet est malheureusement trop grave pour que l’on se borne à l’argumenter par une comédie.
Le groupe de réflexion entendu mercredi dernier à l’Assemblée qui s’est réuni deux fois par an depuis sa création n’est pas d’accord sur tout, notamment sur les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à ce qui est par contre un objectif commun et principal : en finir avec la surpopulation carcérale. Mais ils ont fait front sur l’essentiel devant nos parlementaires.
« A un tel niveau de population carcérale, nos métiers sont en train de perdre de leur sens » a confié Cécile DELAZZARI, Secrétaire Nationale de l’Association nationale des juges de l’application des peines.
En France, un nouveau record est en effet battu : 84 47 détenus, pour 62566 places, soit une densité carcérale de 135 % qui dépasse même 200 % dans certains établissements (Un triste exemple Audois : Carcassonne qui compte 155 détenus pour 63 places soit un taux d’occupation carcérale de 250 % !)
Pour rappel, l’Univers carcéral en France, ce sont 186 établissements pénitentiaires dont :
* 74 Maisons d’Arrêt (en principe pour les peines inférieures à 2 ans)
* 6 Centres de Détention (en principe pour les peines supérieures à deux ans)
*6 Centrales (pour les très longues peines)
*1 Etablissement seulement pour les peines dites « aménagées »
* 10 Etablissements de semi liberté
* 6 Etablissements pour mineurs
* Et surtout, les établissements « discount » de l’univers carcéral : 53 Centres pénitentiaires, établissements « fourre tout » ou sont concentré 80 % de la population carcérale ! Les jeunes délinquants en herbe y côtoient de « bons clients » aguerris à la criminalité. Tu parles d’un « choc carcéral » (expression qui signifie l’effet dissuasif que peut avoir la prison sur un primo délinquant) !
Cet univers carcéral est à l’image de l’institution police. Un labyrinthe totalement inadapté ! Un « outil » usagé à l’image de tout notre Service Public.
Gérard DARMANIN comme tous les Ministres « dans le moove » veut apporter sa « nouveauté » : il crée, après avoir visité et envisagé la création de prisons « modulables », les « Quartiers de Lutte contre la Criminalité organisée ».
Place Vendôme rien de nouveau § En 1974 existaient déjà des « Quartiers de Haute Sécurité » abolis en 1982 par Alain BADINTER qui les transforme en « Quartiers d’Isolement ». La nouveauté DARMANIN date donc de …1974 !
Que de progrès pour notre Société depuis…
Ah, ces prisons bourrées de nos bons boucs émissaires, vous savez, cette main d’œuvre bon marché que l’on se réjouit d’embaucher dans les secteurs où ça nous arrange. Vous savez, ces « vilains étrangers » qui encombrent nos prisons, si l’on en croit quelques spécialistes, au demeurant étroits du faciès et du lobbe frontal, dépourvus de tout raisonnement logique. En réalité, seulement 25 % de la population carcérale est constituée d’étrangers, toutes nationalités confondues ! Et que je sache, il n’est certainement pas plus facile, pour un étranger, de « passer à travers les gouttes ». Autrement dit, il n’a pas moins de chances d’être contrôlé qu’un bon « toubab » bien de chez nous.
La France, pour la première fois de son Histoire, vient en tout cas d’être condamnée, le 26 juin dernier par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour « discrimination dans le cadre d’un contrôle d’identité ». La décision concerne le cas de Monsieur Karim TOUIL, un ressortissant Français qui avait fait l’objet de trois contrôles policiers en seulement dix jours, sans que les autorités n’aient apporté de justification jugée suffisante et non discriminatoire. La Cour (CEDH) a conclu à une violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination), combiné à l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. L’État français devra verser 3 000 euros à M. TOUIL pour le préjudice moral subi. Comme quoi, là encore, nos dirigeants pourtant très européistes qui s’appliquent dans d’autres domaines à faire respecter les normes de Bruxelles et de Strasbourg à la lettre semblent êtres moins disciplinés lorsqu’il s’agit de Directives Humanistes. N’allez pas en conclure que ce type de contrôle subjectif est généralisé et ce n’est pas parce qu’une poignée de lampistes se retrouvent seuls ensuite à la barre des accusés qu’ils sont les seuls responsables de la situation. Mais les donneurs d’Ordre, les fervents défenseurs du Système, les véritables commanditaires de la politique dite « du chiffre », eux, « courent toujours » et poursuivent « quoiqu’il en coûte » cette stratégie de l’absurde.
Idem pour ce qui touche à l’univers carcéral : La même Cour a également condamnée la France pour ses conditions « indignes » de détention ! Récidive !
Décidemment, notre « Pays des Droits de l’Homme » peut vraiment mieux faire.
Le Royaume Uni, qui compte environ le même nombre de détenus, a mis en place un mécanisme de régulation carcérale à l’automne 2024, alors que son taux de surpopulation atteignait à peine les 100 %.
La France consacre 135 euros par détenu contre 234 en Espagne et 330 Euros en Norvège (Un pays phare en matière de faible taux de récidive : établissements à échelle réduite, taux d’encadrement supérieur, prisons ayant valeur d’exemple comme celles de HADEN ou de BASTOY, que Monsieur DARMANIN devrait aller visiter).
Nous acceptons donc en France la multiplication des polices qui coûtent un prix fou au contribuable. Nous acceptons aussi que « le solutionnisme » prime sur l’Humain et le Service Public.
Nice, « le petit Moscou » que le Secrétaire Général d’un syndicat de Police osait qualifier, sans doute par naïveté, je cite « d’exemple en matière de lutte contre l’insécurité », en est à 4000 caméras.
Il y en a un Million à Moscou ! Monsieur ESTROSI qui propose la suppression pure et simple de la Commission Nationale Informatique Liberté et multiplie les moyens pour ses policiers municipaux, a encore de la marge.
Même la Direction Générale de la Police Nationale a été invitée à s’expliquer sur l’utilisation illégale d’un logiciel de reconnaissance faciale utilisé en 2017 par la Direction Départementale de la Sécurité Publique de Seine et Marne (motifs : contraire aux dispositions de la CNIL et aucune déclaration juridique d’établie)
Florent BOUDIE, député « Renaissance », Président de la commission des Lois, s’est en tout cas engagé, face à la démonstration et aux exigences du groupe ci-dessus évoqué, à déposer avant la fin de l’année une proposition de Loi à l’Assemblée sur ce sujet de la surpopulation carcérale.
Dans l’attente, contentons nous de dire encore et encore : « il faut changer de système, de modèle » !
Citons ces propos de la Juge Cécile DELAZZARI : « la surpopulation d’aujourd’hui, c’est la récidive de demain ».
Et citons enfin, cette superbe déclaration de l’un des plus connus des détenus (injustement) du Monde, Nelson MANDELA :
« Personne ne connaît une Nation sans avoir été dans ses prisons »
Dans mon dernier livre en dehors de celles que je viens d’énoncer (aborder les problèmes d’insécurité sociale de façon globale, adapter l’univers carcéral, privilégier les peines de substitution et les TIG pour les petits délits, renforcer le Service Public Police Justice, le taux d’encadrement, instaurer comme cela a été fait en 2019 au moment du COVID des réductions exceptionnelles de peine…) je fais d’autres propositions sur ce sujet.
Celle par exemple d’instaurer un service militaire à minima obligatoire et spécifique pour les primo délinquants. Un stage d’un an ou plus dans un RPIMA, au 92ème RI ou dans la légion étrangère doublé d’une éducation civique renforcée serait à mon humble avis plus efficace qu’un aller retour dans ces bâtisses à fabriquer des « monstres ». Des petits caïds, qui rejoindront ensuite les gangs bien de chez nous et les narco trafiquants.
Dans le domaine de la sécurité et de la justice, comme dans bien d’autres, nous sommes devenus les spécialistes de l’aboiement et des déclarations d’intention. Mais alors que nos Services Publics figuraient parmi les maillots jaunes, nous nous sommes spécialisés dans l’inutilité communicationnelle et avons intégré le « gruppetto » Mondial.
Bon week-end, bons congés à tous et courage à celles et ceux qui bossent
- Expression dans la police similaire à « crânes », pour qualifier le nombre de mises à dispositions de la Police Judiciaire
- Expression citée par le criminologue Alain BAUER
- « Insécurité Etat d’Urgence, manifeste pour une Police Républicaine » (JLA/ Editions Heracles/ Avril 2025)
- « Police en péril, la grande maison brûle » ( JLA /Cherche Midi juin 2020)